La rencontre networking de la CCI France Russie et de la Chambre de Commerce Américaine en Russie (AmCham) a eu lieu à Moscou
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« Nous nous faisons simplement mutuellement confiance »

Guennadi Timtchenko s’exprime sur ses affaires avec de nouveaux partenaires et parle de ses vieilles connaissances.

Il y a un an, NOVATEK commençait sa campagne pour la libéralisation des exportations de gaz russe. Le succès de l’entreprise devrait être officialisé dans les temps qui viennent. Le cofondateur de NOVATEK, Guennadi Timchenko, a raconté à comment il est parvenu à démembrer le monopole longuement détenu par Gazprom sur le plus lucratif des marchés, pourquoi il ne s’intéresse pas à la privatisation, et combien lui sont utiles ses nombreuses et vieilles connaissances de Saint-Pétersbourg.

– Il semble que la libéralisation des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) se produise uniquement parce que c’est utile à NOVATEK, et que vous êtes son actionnaire. En un an, on est parvenu à s’entendre sur de nombreuses questions épineuses, et à vaincre Gazprom, ce que personne n’avait jamais réussi à faire…

– Nous nous occupons du projet "Yamal GNL" depuis déjà plusieurs années. Pour nous, l’essentiel est de toujours avoir une longueur d’avance. Car ni Rosneft ni Gazprom ne sont encore en mesure de concurrencer notre projet ; nous nous sommes lancés beaucoup plus tôt. Nous serons déjà sur le marché quand ils envisageront seulement d’y entrer. Car nous risquons réellement de perdre face à la concurrence de l’Australie, du Qatar, des Etats-Unis et j’en passe. NOVATEK est aussi une entreprise russe, donc quelle importance de savoir qui livrera du gaz naturel liquéfié ? Aujourd’hui, la préparation d’une base normative se poursuit, le processus va son train. Il me semble que nous nous dirigeons dans la bonne direction. La Russie a intérêt à libéraliser ses exportations de GNL.

Nous examinons les marchés de ces pays du point de vue de la livraison de GNL. Notre travail avec nos partenaires chinois prévoit lui un modèle quelque peu différent. Nous allons en Chine car il s’y trouve un marché. Ce pays possède par ailleurs de gigantesques ressources financières et s’efforce de répartir ses investissements dans le monde entier. Il serait absurde que la Russie n’en profite pas. Nous parlons beaucoup de la nécessité d’investissements directs. Dans le projet "Yamal GNL", CNPC (China National Petroleum Corporation), en partenariat avec Total et NOVATEK, peut investir plus de 20 milliards de dollars (14,8 millions d’euros).

– La condition de CNPC, pour que NOVATEK puisse entrer sur le marché chinois, était-elle une part dans "Yamal GNL" ?

– Quand on est en présence d’un producteur et d’un consommateur, ils ont tous les deux intérêt à collaborer. En prenant part à la production de GNL en Russie, ils savent que pour approvisionner leur marché en matières premières en fonction de leurs besoins, il faut considérer le fait que nous sommes voisins et que nous cherchons à développer nos économies respectives. Cela dit, la route maritime du nord se révèle beaucoup plus pratique pour la logistique chinoise.

– Quelles sont les modalités de livraison de GNL et de financement du projet avec la Chine ? Existe-t-il un tarif préférentiel pour la CNPC, comme le pratique par exemple Rosneft avec le pétrole ?

– Nous sommes maintenant dans le processus de fixation de certains détails de la collaboration, et il existe un accord de confidentialité. C’est pourquoi il ne serait pas correct, dans la situation actuelle, de parler concrètement de ces conditions.

– Vous avez affirmé qu’un autre partenaire serait susceptible de participer à "Yamal GNL". De qui s’agit-il ?

– Nous menons des négociations avec les entreprises de plusieurs pays : Inde, Japon, Corée. Il y en a aussi une autre de Chine. Cependant la part disponible à présent ne s’élève qu’à seulement 9,99%. Nous nous en réservons le contrôle dans tous les cas. Les négociations se poursuivent, on verra bien qui sera le plus entreprenant.

– Une variante voulait que CNPC devienne actionnaire de NOVATEK. De telles négociations existent-elles ?

– Je n’envisage pas de réduire ma part dans NOVATEK. Du peu que je sache, mon associé, Leonid Michelson, non plus. Il n’y a donc pas de place de manœuvre : le partage actuel nous convient. Voilà pourquoi nous ne menons pas de négociations avec les Chinois sur la vente directe de parts dans l’entreprise.

– Êtes-vous prêt à investir en Chine ?

– L’Europe se détourne de nous aujourd’hui. Vous voyez que nous ne pouvons pratiquement plus nous entendre avec les Européens, et cela sur toutes les questions, même sur les visas. Tout le monde se rend là-bas librement, sauf les Russes. Pourquoi ? C’est navrant. Mais si ça ne fonctionne pas, pourquoi continuer à se casser la tête contre une porte close ? Il vaut mieux s’en détourner et regarder en direction des possibilités de collaboration avec nos collègues chinois. Il me semble que nous pourrions nous entendre plus vite, et plus efficacement. Nous sommes disposés à examiner sérieusement nos investissements en Chine, comme par exemple concernant les terminaux de regazéification. C’est vrai, il y a là-bas quelques barrières contre les étrangers, mais il me semble que la possibilité d’y investir peut être envisagée dans un futur proche. Il nous importe que notre gaz arrive dans l’un de nos propres terminaux, ou bien dans une autre mise en commun avec nos partenaires chinois. C’est beaucoup plus rentable que de vendre simplement notre gaz à l’étranger. Nous pourrions ainsi parvenir à des livraisons en gros sur le marché intérieur chinois.

– Mais à cela s’ajoute l’opinion selon laquelle la Russie est tributaire du bon-vouloir chinois concernant les matières premières : nous y exportons une quantité considérable de pétrole, et maintenant de gaz…

– Vous savez, je vais vous répondre ainsi. Nous constituons aujourd’hui les nouvelles provinces du gaz et du pétrole, et selon moi, il n’est pas tellement important de savoir précisément où partent nos hydrocarbures. Je suis sûr que Gazprom s’alliera bientôt à nous car il possède d’immenses réserves de gaz dans le projet Yamal. En ce qui concerne le terme "tributaire",allons, je vous en prie, essayons de voir plus loin. Je suis dans l’industrie pétrolière depuis 1987. Les conversations sur le fait que notre pays serait soumis à d’autres ont cours depuis ce temps-là, et selon moi, ce ne sont que des balivernes. Ce que nous devrions faire aujourd’hui, c’est remercier Dieu de nous avoir donné ces ressources et se tourner promptement vers lui. NOVATEK investit de l’argent dans les technologies de pointe, et plus nous investirons dans les innovations les plus récentes, plus le prix de revient de notre gaz diminuera. Alors même avec la baisse des prix du gaz et du pétrole – baisse que j’estime peu probable – nous resterons compétitifs et l’économie, stable. Nous devons apprendre à apprécier sainement nos possibilités. C’est une chose importante que de vouloir correctement diversifier son économie, mais la priorité doit être donnée à l’industrie pétrolière et gazière. Nous disposerons alors toujours d’un budget complet, soit de bonnes rentes pour le gouvernement, et donc la possibilité d’investir dans les infrastructures. Comme on dit, le mieux est l’ennemi du bien.

– Les Chinois se considèrent volontiers comme des partenaires peu accommodants. Quelles impressions avez-vous des négociations ?

C’est la première fois que j’ai eu affaire à eux. Je vous dirais d’emblée que c’est une mentalité complètement différente. Il faut savoir comment trouver la bonne approche, essayer de comprendre comment ils pensent. Il me semble que nous y sommes parvenus, et j’estime que nous pourrons à nouveau avoir des projets mutuellement avantageux, à la fois en Chine et en Russie.

– Parce que pour eux aussi, le nom de Timtchenko veut dire quelque chose ?

– Je ne pense pas qu’il s’agisse de mon nom, car nous parlons d’un projet sérieux, avec de grosses sommes d’argent. Ils ont une très belle équipe, investissent partout dans le monde et font attention à tous les détails. Actuellement, nous sommes arrivés à la signature de la première partie de notre accord de partenariat – "Yamal GNL" en l’occurrence – et nous préparons maintenant la signature de la deuxième partie. Une quantité de produit, que nous allons fixer, va déjà leur être livrée au regard de leur acquisition et de leur consentement sur les tarifs en vigueur. Cependant, les Chinois comprennent qu’il n’est pas question d’insister sur un prix de vente minimum pour le GNL, car ils sont actionnaires du projet.

– NOVATEK mise sur Yamal, vous dites que c’est aujourd’hui une région clé pour l’entreprise. Quels projets examinez-vous ?

– Si l’on observe attentivement la carte du marché mondial, on peut voir tout à fait clairement dans quelle direction il faut s’engager. Nous savons qu’il est peu probable que la consommation augmente en Europe, et il est même possible qu’elle diminue. Il y a les États-Unis, où la demande ne fait qu’augmenter, et selon les prévisions, les entreprises américaines vont prochainement commencer à exporter leur gaz. Sur le marché européen, nous nous efforçons selon moi de montrer que, du fait de vecteurs énergétiques onéreux, l’Europe ne peut pas être compétitive. En Europe, on a maintenant l’objectif unique d’ouvrir le marché au maximum aux sources d’approvisionnement alternatives, d’où la situation compliquée avec Gazprom. De nouveaux fournisseurs vont apparaître, la concurrence va augmenter et les marges, donc, vont baisser. Cependant, l’accroissement de la consommation en gaz se déplace vers les pays du marché de l’Asie-Pacifique. J’estime que la Chine sera à terme le plus important consommateur de GNL. Et je suis certain que le plus tôt nos compagnies s’installeront en Chine, le mieux ce sera pour la Russie.

De même que l’Australie occupe activement le marché du GNL, nous voyons la possibilité de livraison de gaz depuis l’Afrique. La production va augmenter dans les endroits les plus variés de la planète. Nous devons d’ores et déjà assurer une place à la Russie. Dans cet optique, il nous faut donc collaborer avec d’autres pays : l’Inde, le Pakistan, la Thaïlande. Nous orientons notre travail dans cette direction.

– Gazprom étudie la possibilité de construire une usine de GNL dans la Baltique. NOVATEK pourrait être partenaire ?

– Si une telle opportunité apparaissait, nous souhaiterions y prendre part avec Gazprom. NOVATEK, comme chacun sait, forme une sorte de coentreprise avec Gazprom. Voilà pourquoi nous avons une expérience positive en matière de collaboration.

– Mais de tels projets ne sont-ils pas trop nombreux ?

– Les marchés du GNL se mesurent en centaines de millions de tonnes. Nous avons nous, dans le meilleur des cas, quelques usines d’une puissance de dix à quinze millions de tonnes : est-ce tellement élevé compte tenu de la concurrence ? C’est pourquoi, pour reprendre cet exemple, une usine de GNL sur la Baltique ne nous dérange pas. De nouvelles normes écologiques y ont été prises et elles entreront en vigueur dès 2015. Le bunkering de la majorité de navires nécessitera alors un mazout de très bonne qualité, avec une faible teneur en soufre, ce que nous ne produisons pas, le diesel étant une marchandise très onéreuse. Voilà pourquoi, à un moment ou à un autre, les navires passeront au gaz liquide comme moyen de propulsion. En ayant une usine dans cette région, nous serions en mesure de satisfaire les consommations de la flotte, et par conséquent, de livrer du GNL en Europe.

– On assiste aujourd’hui à une augmentation du nombre d’entreprises gazières. En tant que directeur d’une entreprise privée, comment ressentez-vous cela?

– Je n’ai aucune réticence à l’égard des compagnies gazières. Je ne peux pas dire que si une entreprise est dirigée par le gouvernement, alors elle ne l’est pas efficacement. Tout dépend du management et de rien d’autre.

– Gazprom travaille efficacement ?

– Je ne peux ni ne veux émettre de notes d’aucune sorte.

– Participeriez-vous à une privatisation ?

– Je ne comprends pas tout à fait pourquoi, si une entreprise est dirigée efficacement, quand bien même elle est nationalisée, nous devrions la confier à des capitaux privés ? Si elle rapporte des dividendes dans le budget chaque année ? Qu’importe à qui appartient l’entreprise, l’essentiel est la manière dont on la dirige. Pour ce qui est des privatisations, je m’efforce de ne pas participer à de tels processus. La privatisation, c’était dans les années 90. Depuis, on n’a pas cessé d’avoir des discussions pour savoir si on avait raison ou non, qui était devenu oligarque et pourquoi. J’aimerais préserver ma réputation ; je pense que la réputation est ce qu’il y a de plus important pour un businessman. Évidemment, une privatisation aurait lieu aujourd’hui dans un climat différent et, forcément, serait plus bénéfique pour l’État et pour le peuple. Il me semble cependant que je resterai sans doute le seul, parmi les gens fortunés de notre pays, à ne pas participer à une privatisation.

– Dans beaucoup d’entreprises, vous ne possédez qu’une part minoritaire. Pourquoi ? Selon votre conception des choses, on doit pourtant avoir les ressources suffisantes pour rester un actionnaire influent.

– Visiblement, c’est lié au fait que j’ai vécu trop longtemps à l’étranger, où je me suis imprégné de mes premiers cours de direction d’entreprise. Pour moi, votre question est très sérieuse. Je peux affirmer que nous avons en Russie des conceptions différentes de celles des Européens sur de nombreux points, en particulier pour ce qui concerne la direction des entreprises, et cela surtout au vu des événements des années 90. C’est précisément en Europe que j’ai compris que le plus important dans les affaires : c’est la réputation. Quand vous entamez une affaire avec un partenaire, avant même d’avoir des relations professionnelles avec lui, vous faites connaissance. Si vous sentez que cette personne vous ressemble dans sa constitution chimique, vous commencerez alors à faire des affaires. Et si vous commencez à avoir confiance en l’autre, il n’y aura absolument aucun problème.

– On vous considère comme un businessman dont il est inutile d’essayer de graisser la patte, étant donné que vous pouvez résoudre tous les problèmes par téléphone, et sans argent…

– J’ai un précieux groupe de connaissances avec lesquels nous échangeons encore à Saint-Pétersbourg et que je connais d’une manière toute particulière. Par exemple, avec Alekseï Borisevitch Miller, nous nous connaissons depuis des dizaines d’années. Quand une quelconque question surgit, par exemple, sur le dossier NOVATEK-Gazprom, il nous est tout naturellement préférable de trouver une solution avantageuse pour l’un comme pour l’autre. De là à dire que c’est une sorte de "justice par téléphone" propre à la corruption ? Non. Nous nous faisons simplement mutuellement confiance.

– Vous voulez dire qu’il vous suffit de sentir les gens ? Vous ne vous êtes jamais trompé ?

– Honnêtement, très rarement. Les erreurs surviennent, mais cela signifie qu’à un moment décisif, quelque chose n’a pas été examiné, que quelque chose n’a pas été vu. C’est un cas très rare, mais je n’entrerai pas dans les détails. C’est précisément pourquoi il me semble qu’avoir le contrôle dans les affaires, ce n’est pas une question primordiale. Si tu as pleinement confiance en ton partenaire, et si tu utilises les mécanismes de contrôle prévus par le management, alors tu seras au courant de tous les différents processus en cours.

– Une part majoritaire rapporte plus de dividendes.

– Du point de vue financier, oui, plus on en a, mieux c’est. Mais il y a une limite à tout. Faire de l’argent pour faire de l’argent, ça ne m’intéresse plus.

– Ça ne vous intéresse vraiment plus ?

– Pour moi ce qui compte c’est que l’entreprise que j’ai fondée, et dans laquelle je suis toujours codirecteur, travaille efficacement afin que nos collaborateurs bénéficient d’une digne rétribution. Le processus d’enrichissement ira ensuite tout seul. Voilà pourquoi j’affirme que faire de l’argent pour faire de l’argent, ce n’est pas intéressant parce que j’éprouve de la responsabilité, y compris envers la Société. On compte près de 100 000 emplois dans mes entreprises : nos collaborateurs rapportent vraiment beaucoup d’argent et, par conséquent, que ce soit pour les entreprises ou pour les personnes, payent des impôts. Je conçois précisément mon entreprise sous le prisme de la responsabilité civile, même si ça ne saute pas aux yeux. Car en en créant des emplois stables, en développant des entreprises compétitives, nous rendons la Russie plus forte.

Stroïtransgaz commence donc à s’occuper d’un sujet très important comme l’écologie dans le traitement des résidus industriels. Aujourd’hui, dans toutes les grandes villes et pas seulement en Russie, c’est un immense problème pour l’environnement. Nous sommes prêts à pousser au plus haut niveau le recyclage des déchets.

Nous regardons en direction des projets dédiés aux infrastructures et nous nous concentrons sur ces derniers. La construction de routes, de voies de chemin de fer, ou de n’importe quelle autre infrastructure nous intéressent. Nous prendrons part à la fois aux appels d’offres et aux projets de concession si ceux-ci advenaient. Mais qu’est-ce qu’une infrastructure ? Selon moi les investissements dans ce secteur augmente le rendement du travail. Car nous avons aujourd’hui en Russie un grand problème : une main d’œuvre insuffisante. C’est pour ça qu’il y a autant d’immigrés dans le pays. Et si nous ne nous chargeons pas d’accroître la productivité du travail, nous pourrions gravement retarder le développement de notre économie. Voilà pourquoi j’estime que les infrastructures sont l’un de ces éléments qui nous permettrait de transporter une marchandise d’un point A à un point B deux à trois fois plus vite. Les infrastructures engendrent la vie autour d’elles ! Car si aujourd’hui les gens, sortant de leur coin perdu, vont dans les grandes villes, c’est parce qu’on y trouve du travail, alors que les opportunités sont considérablement moins nombreuses dans les provinces. Et c’est seulement une fois qu’on crée des infrastructures quelque part que la vie commence à s’y développer ; quelqu’un commence à cultiver quelque chose sur son petit lopin de terre, puis vend cette chose, la transporte, et ensuite, tout naturellement, récolte les bénéfices de sa petite, mais déjà véritable entreprise.

– Considérant votre intérêt pour les infrastructures, ne prévoyez-vous pas de participer à la construction d’installations sportives, comme celles pour le championnat du monde, par exemple ?

– Ce secteur pourrait potentiellement nous intéresser. Nous allons justement mettre en service un stade de basketball à Saint-Pétersbourg. Il s’appellera la "SIBUR-Arena" et a été construit grâce aux financements de la société SIBUR et de la municipalité. Tout a été fait en temps voulu, les matériaux les plus modernes ont été employés et le parquet est en érable du Canada (ce dont rêvent beaucoup de clubs de la NBA depuis des années). Le maître d’œuvre était l’entreprise STG. Nous avons donc l’expérience et les compétences nécessaires pour participer à de tels projets.

– Dans quelle mesure participez-vous activement à la direction de vos entreprises ?

– Je ne m’en occupe pas tous les jours. Je fais confiance à de jeunes manageurs prometteurs. Évidemment, je les rencontre périodiquement, et s’il survient une question délicate, ils se tournent directement vers moi. Mais je conçois mon rôle dans une stratégie délimitée, je préfère me situer au-dessus de toutes les activités opérationnelles du quotidien. Si les entreprises travaillent correctement, je ne vais pas perturber la marche des choses.

Prenons l’exemple de l’entreprise Rousskoé Mopé, qui a enregistré des pertes ces dernières années. Des restructurations d’actifs ont été menées, une partie d’entre eux a été vendue et au final l’entreprise est redevenue bénéficiaire. Ou encore notre entreprise Akvanika, qui bien qu’elle soit toujours en déficit, a vu son chiffre d’affaires augmenter de plus de 160% par rapport à l’année dernière.

– On vous considère comme l’un des prétendants à l’acquisition d’Uralkali.

– Je n’ai jamais eu l’intention de l’acheter ! Il y a tellement de directions différentes, mais seulement 24 heures dans une journée.

– Pourtant vous avez eu le temps d’entrer dans le capital de Stroïtransgaz.

– Oui, et avant d’y entrer, il y a cinq ans de cela, nous avions longtemps cherché notre chemin. Le processus de restructuration est à présent terminé, nous avons mis en place un modèle efficace et fonctionnel. Ce sera bientôt une entreprise avec de très gros bénéfices. Nous sommes prêts à collaborer avec des entreprises étrangères, et à réaliser de nombreux projets.

– Quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire que les entreprises étrangères se précipitent en Russie.

– Quelques investisseurs européens ont eu peur après l’histoire de la construction d’une route à travers la forêt de Khimkinskiï. Au fond, il n’y avait aucun motif d’interrompre le projet, ce dernier ayant été remporté au tribunal par ses propriétaires. Mais ils l’ont arrêté. Pourquoi ? On se trouve bien souvent dans les embouteillages, et moi de même. A ce sujet, j’ai entendu dire parmi les décideurs, qu’entre l’écologie et le développement des infrastructures, c’est toujours une affaire de compromis. Oui, c’est vrai qu’il faut minimiser notre impact sur l’environnement, mais à l’heure actuelle, rien de grave ne s’est encore produit. En plus, la route en question réduit elle-même les risques écologiques en décongestionnant et en optimisant les mouvements dans cette direction. Je pense que malgré tout nous parviendront à convaincre entièrement nos partenaires étrangers que de tels projets ont des perspectives d’avenir.

Par ailleurs, il y a les capitaux chinois que nous apportons en Russie. Par exemple, nous examinons à présent le projet de construction d’une courte voie de chemins de fer en Chine. Elle pourrait passer par la république de Touva, où se trouve d’assez grandes réserves de charbon, et beaucoup d’autres ressources minières. Après un petit tronçon à travers la Mongolie, nous nous retrouverions directement en Chine.

– Mais c’est déjà une mission réservée à la Compagnie des chemins de fer russe.

– Ils doivent en effet s’en occuper dans son intégralité, mais nous pourrions faire office de maître d’œuvre sur certains aspects du travail. Un tel projet peut être potentiellement mis à exécution. Et vous imaginez de combien augmenteraient les bénéfices du transport ! Toujours est-t-il qu’une telle construction n’est possible qu’avec l’argent des Chinois.

– Vous investissez dans les instruments financiers ?

– Je considère cela comme de la spéculation. Il faut garder les pieds sur terre, ne pas jouer, ni profiter des renseignements d’initié, et d’en faire son fonds de commerce. Oui, les investissements dans les instruments financiers nous rapporteraient de l’argent, et puis quoi d’autre ? Qu’aurions-nous fait ? Qu’aurions-nous construit ? Convenez que c’est une voie étrange en soi.

– Beaucoup d’hommes d’affaires l’ont pourtant suivie.

– C’est une question d’éthique et de priorités.

– Vous êtes propriétaire à hauteur de 8% de la Rossiya Bank.Comptez-vous augmenter votre part ?

– J’y avais déjà investi dans les années 90. A l’époque, moi et mes partenaires possédions 25% des actions. Puis est arrivée l’année 1998 et nous avons, comme beaucoup d’autres, abandonné la banque. Puis nous l’avons sauvée. Dans les années qui suivirent, nous avons divisé son capital. Si, brusquement, décision est prise de diminuer le bénéfice de chaque action, je continuerai d’y participer à coup sûr. Bien qu’aujourd’hui le nombre d’actionnaires soit stable, la banque travaille efficacement : nous l’utilisons comme instrument pour financer nos affaires. C’est un bon actif, et j’ai l’intention d’y maintenir ma présence.

– L’une des dernières histoires retentissantes autours de votre entreprise concerne l’achat par Rosneft de la part de l’entreprise italienne Enel dans SeverEnergia, et cela malgré le fait que vous ayez également eu cette prétention avec NOVATEK. Comment en sommes-nous arrivés là ?

– CP NOVATEK et Gazprom Neft possède 51% de SeverEnergia. Naturellement, nous étions intéressés par la possibilité d’augmenter notre part, et menions des négociations à ce sujet avec Enel. Mais pouvez-vous donc comprendre où est le problème… Il y a de cela quelques années, Enel avait pris part au projet. Après avoir reçu leur part, ils avaient logiquement fait venir des spécialistes italiens (ils étaient plus de 70). Pourtant, ils n’étaient pas parvenus à faire augmenter la production.

– Aujourd’hui, après nos procédures de contrôle, seulement quatre spécialistes italiens travaillent toujours chez SeverEnergia, et le projet se développe efficacement. Il s’avère qu’Enel a investi près de 500 millions de dollars en cinq ans, mais quand nous avons commencé les négociations, ils nous ont proposé leur part pour cinq milliards de dollars. Avec beaucoup de minutie, nous avons maintenu le dialogue suffisamment longtemps pour arriver au chiffre de 1,8 milliard de dollars. On avait alors vraiment l’impression d’être proche d’un accord. L’investisseur recevait le double des sommes investies. N’importe quel spécialiste dirait que c’est un bon investissement. Et voilà que soudain surgit Rosneft qui annonce avoir trouvé un accord…

– Ce genre de chose n’est-t-il jamais arrivé auparavant ?

– Ça aurait été probablement plus juste si nous nous étions entretenus avec Rosneft avant qu’ils n’annoncent la conclusion d’un quelconque accord avec les Italiens. Mais malheureusement pour nous, Igor Ivanovitch est un homme très occupé, avec un emploi du temps difficile, voire saturé, et visiblement il n’a pas eu la possibilité de s’entretenir avec nous avant la signature. J’espère cependant que nous entamerons prochainement un dialogue constructif avec Rosneft et que nous aboutirons à une solution mutuellement avantageuse.

– On dit qu’après cette histoire une véritable guerre a commencé.

– Je n’ai entendu parler d’aucune guerre. Notre position est claire : nous contrôlons aujourd’hui l’entreprise, et même si Rosneft y est présente à 19%, qu’est-ce que ça peut lui faire ? La coentreprise entre NOVATEK et Gazprom Neft mène l’affaire. Par conséquent, si vous entrez dans l’entreprise, il faudra avant tout vous entendre avec les actionnaires déjà existants. Vous travaillerez ensemble, ce qui signifie qu’il vous sera nécessaire de savoir comme vous allez travailler. On appelle cela une entente préalable.

– Voulez-vous acheter la part d’Eni ?

– Tout est possible. Lors de l’une de nos réunions, j’ai eu la chance d’être assis aux côtés de Paolo Scaroni, le président d’Eni, et nous avons abordé cette question. Il me semble qu’Eni, qui s’intéresse aux actifs pétroliers, ne serait pas contre une sortie du secteur gazier.

– La composition des propriétaires de Transoil va-t-elle changer ? Vos deux nouveaux partenaires, Iskander Mahmoudov et Andreï Bokarev, ont affirmé vouloir faire passer leur part de 13 à 25%. Pourrions-nous assister à une consolidation des principaux actionnaires ?

– Nous n’avons aucun problème avec la configuration actuelle. Je suis pleinement satisfait de mes partenaires, et eux aussi il me semble. C’est vrai que nous étudions en ce moment la possibilité d’intégrer notre coentreprise à Transgroup, mais il faudrait pour cela une sérieuse libéralisation du secteur ferroviaire. Chaque chose en son temps.

– Comment êtes-vous devenus partenaires ?

– Au fondement de notre partenariat se trouve un intérêt mutuel. Mahmoudov et Bokarev cherchaient des parts dans une bonne entreprise capable de leur assurer un bénéficie stable. J’étais potentiellement intéressé par un partenariat avec leur entreprise liée à la production de locomotives. Ils possèdent par ailleurs leur propre entreprise de transport. Pour l’instant, nous travaillons ensemble sur Transoil, mais l’idée d’un partenariat plus approfondi n’est pas à exclure.

– Le comité de direction de SIBUR devrait prochainement examiner le projet de création d’une nouvelle production de polymères par pyrolyse, "ZapSibNeftekhim", projet qui nécessiterait d’investir des milliards. Selon vous, ce projet a-t-il de l’avenir ?

– Là encore, d’importantes phases de travail restent à effectuer car les investissements sont en effet très importants. Il faut avant tout s’entendre sur la structure, la durée et les clauses tarifaires des contrats portant sur les matières premières. Des accords préliminaires ont été fixés avec un certain nombre de producteurs, maintenant, il est nécessaire de s’assurer que ces ressources sont présentes en quantité suffisante et qu’elles sont fiables. Des questions persistent en outre sur l’état des infrastructures de transport car il nous faudrait établir les dépenses de construction susceptibles de bénéficier d’une aide d’État. C’est seulement une fois que tout cela aura été fixé et discuté que nous parviendrons à une conclusion satisfaisante.

– Un système d’options se met en place chez SIBUR. Quelle est la taille actuelle de votre participation et de celle de votre associé, Leonid Michelson ?

– Les managers sont déjà devenus actionnaires mais il existe une série de restrictions, y compris une clause concernant le maintien de l’équipe managériale. Ils sont selon moi très satisfaits de leurs parts dans ce programme. Quant à mon partenariat avec Leonid Michelson, nous avons nos propres relations internes, c’est pourquoi je ne suis pas disposé à dévoiler ces informations. Cela n’influe en rien sur les activités de la compagnie.

– Quelle est la stratégie de développement de votre entreprise dans le charbon, "Coalmar" ? Pour l’instant, l’entreprise n’a pas de très bons résultats.

– Il y a encore peu de temps, le marché du charbon était à un pic et tout le monde pensait qu’il y aurait toujours autant de produit que le réclamait le marché. Mais la situation a littéralement viré à 180 degrés. Au vu de la conjoncture actuelle, pour que l’entreprise rapporte de l’argent, nous estimons que nos investissements pourraient atteindre près d’un milliard de dollars. Il faut maintenant considérer tous les risques. Je pense que nous fixerons tout cela prochainement, des négociations ont lieu pour l’instant avec les banques au sujet des crédits à accorder.

– La possibilité d’une fusion entre votre coentreprise et SDS-Ougol est-t-elle toujours d’actualité ?

– C’est en effet l’une des possibilités toujours envisageable. Ceci dit au passage, des entreprises chinoises et indiennes se penchent sur le projet ; nous sommes en pourparlers avec eux et en principe, ils seraient potentiellement intéressés. Un fond anglais participe même aux négociations et propose d’entrer dans le capital. Le travail se poursuit, on trouvera bientôt une solution.

– Vous disiez vouloir vous éloigner de la direction de Gunvor. Quels sont cependant vos plans pour le développement de l’entreprise ?

– Gunvor est devenue une très grande et très sérieuse compagnie. Torbjörn Törnqvist, mon partenaire, est resté littéralement des jours entiers dans mon bureau pour discuter de l’acquisition de parts dans une raffinerie européenne. Nous continuons à étudier la perspective asiatique, et pensons notamment à investir dans un site de raffinage en Mongolie dont la production pourrait s’exporter sur les marchés adjacents. Gunvor a par conséquent cessé d’être notre unique trader : nous diversifions notre business.

– En seulement un an, Gunvor a acquis deux raffineries de l’entreprise en faillite Petroplus. La majorité des experts sont sceptiques quant à l’avenir des raffineries européennes. Pourquoi avez-vous décidé d’acheter ces actifs ?

– Nous avons jugé que le marché jouissait alors d’une situation favorable. Vous seriez très étonnés de savoir à quel prix nous avons obtenu ces raffineries. Et ces entreprises rapportent bien, nous y avons préservé des emplois et avons déjà pratiquement récupéré la totalité de nos investissements. Beaucoup de concurrents s’étaient portés acquéreurs mais personne, excepté Gunvor, ne pouvait garantir que ces entreprises ne mettraient pas la clé sous la porte. Ça a été un facteur très important pour la commission d’appel d’offres. Je pense personnellement que les raffineries européennes ont de l’avenir.

– Soutenez-vous toujours les plans mis en place pour réduire le rendement pétrolier d’Urals ?

– Urals étant surévaluée, l’entreprise ne peut pas fonctionner. Vous pourriez entendre ce genre de considérations chez Vitol ou Glencor. Évidemment, je n’en sais pas plus précisément, mais il se dit sur le marché que des problèmes existent. Nous nous sommes donc arrêtés à temps et attendons pour l’instant.

– Rosneft s’est-t-elle adressée à vous, comme elle l’a fait avec Glencore et Vitol, avec une offre portant sur des livraisons de pétrole prépayées ?

– Ils se sont effectivement adressés à nous. Le problème est que quand Rosneft demande un prépaiement, vous vous rendez naturellement à la banque qui, dans le cas d’un crédit massif, exige une caution. Dans le cas présent, il s’agirait de pétrole. Parallèlement à cela, Rosneft arriverait à son tour et recevrait elle aussi des crédits en mettant en gage son pétrole. Mais au final, les banques ne voudraient pas attribuer un double crédit pour une unique quantité de pétrole.

– Ressentez-vous des dissonances à l’égard du Kremlin et du gouvernement ?

– Ce ne sont pas mes affaires. Ça m’intéresse de m’entretenir avec des ministres de départements importants. Selon moi, ils perçoivent et comprennent nos problèmes. Pour nous, l’essentiel est de leur présenter nos problèmes et les solutions que nous voyons à ces problèmes. Après, qu’ils soient d’accord ou pas, c’est leur droit. Il est possible que des dissonances existent quelque part, mais je n’y suis pas confronté.

– Vous êtes à la tête du club de hockey SKA Saint-Pétersbourg, ainsi que président du comité de direction de la Ligue continentale de hockey (LCH). Comment mettez-vous en valeur ces deux entreprises ?

– Le processus suit son cours, avec succès. Je sais qu’on ne peut créer un club normal et performant qu’à coups de généreuses subventions. C’est véridique, et nous savons comment faire. Mais pour cela, il faut encore du temps – cinq, six ou dix ans – et alors tout rentrera dans l’ordre. Aujourd’hui, on développe des clubs de hockey dédiés aux enfants, histoire d’élever la jeunesse. Malheureusement, ce genre de choses n’existe pas encore pour le football. Près de 70 000 personnes jouent maintenant au hockey en Russie. C’est comparable à la Finlande, sans parler du Canada ou des États-Unis, où l’on pratique ce sport à plus grande échelle. C’est pourquoi nous avons de grandes réserves de croissance. Nous devons développer le sport pour que nos jeunes soient en bonne santé, pour qu’ils ne prennent pas de mauvaises habitudes. En plus, le hockey est un sport d’équipe et un individu doit apprendre durant son enfance à travailler collectivement ; ça forme le caractère.

– Je suis d’accord pour dire qu’en matière de sport, les entreprises – y compris celles gérées par le gouvernement – peuvent employer des méthodes peu efficaces. Car si les gens ne vont pas au stade, à quoi bon avoir un club ? Tenez, voilà ce que nous avons fait dernièrement : en face du SKA, à Saint-Pétersbourg, on trouve encore le club BMF, qui joue en LCH. Bien sûr, il n’attire pas autant de spectateurs. Et qu’avons-nous fait ? On a déménagé le club en Carélie voisine, à Kondopoga plus précisément, ville qui est tristement célèbre pour d’autres raisons. Et vous savez ce qui s’est passé ? La salle était pleine à craquer ! Tout le monde était intéressé, les simples habitants comme les hockeyeurs. C’est ça la magie du sport.

– Vous continuez vous-même à jouer au hockey ?

– Oui je continue. Fin août, nous avons organisé un match de bienfaisance pour l’ouverture de la saison de LCH. Il opposait "Les amis d’Ilia Kovaltchouk" aux "amis du SKA". Les dix millions de roubles ainsi récoltés (230 000 euros) ont été reversés à l’un des orphelinats de Saint-Pétersbourg.

Source: Kommersant.

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