La rencontre networking de la CCI France Russie et de la Chambre de Commerce Américaine en Russie (AmCham) a eu lieu à Moscou
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Un climat des affaires à  nouveau au beau fixe
18.04.2013

L’interview sur le site du journal Vedomosti (en russe)

Les changements intervenus dans les relations franco-russes depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, les principaux problèmes rencontrés par les entrepreneurs français en Russie et les moyens de résoudre ces problèmes.

Pavel Chinsky note que les Français en Russie cherchent souvent à se comporter à l’américaine et à réussir à l’allemande. La première aspiration se heurte à la spécificité de la mentalité, tandis que pour la seconde, les allemands ont pris un peu d’avance dans la maîtrise du marché russe. Toutefois, le nombre d’entreprises françaises implantées en Russie va croissant. Dans son interview à Vedomosti, le Directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe résume le sentiment des entrepreneurs français sur la perquisition récente chez Yves Rocher Vostok en lien avec l’affaire Alexeï Navalny et offre quelques conseils aux investisseurs russes sur les pistes d’investissement dans l’économie française.

— La stratégie des entrepreneurs français en Russie a-t-elle changé suite à la rencontre entre le Président François Hollande et ses compatriotes lors de sa visite officielle à Moscou ?

— La réception de la visite de François Hollande est avant tout influencée par sa première rencontre avec Vladimir Poutine qui s’est tenue dans un contexte éloigné du milieu des affaires. A l’époque, à l’été 2012, le thème du jour était la Syrie, et nous avons tous en mémoire la conférence de presse de Poutine et Hollande, qui a laissé une impression plutôt fraîche. Aussi, techniquement cette deuxième rencontre est la première occasion de parler d’économie.

La présence de François Hollande à cette rencontre organisée par la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR) a tout d’abord surpris les entrepreneurs. Cela crée un précédent – auparavant aucun président français n’avait coopéré avec eux sous ce format. Cette fois, c’est bien les entrepreneurs qui invitaient le président. Ce qui a surpris tout le monde, par ailleurs, est le discours pragmatique du Président Hollande, un discours assez éloigné de celui qu’il tient en France. Il a parlé comme un homme pour qui les lois du marché ne contredisent pas les lois du pouvoir.

— Des décisions importantes pour les entreprises ont-elles été prises lors de la réunion ?

— Formellement, oui. Une série de documents a été signée. Mais aucune impulsion n’a été apportée en ce qui concerne les projets globaux radicalement nouveaux. Personnellement, je trouve que ce n’est pas satisfaisant. Aujourd’hui, les relations franco-russes sont basées sur quelques rares projets phares qui doivent avancer. C’est une chose de signer un accord sur Chtokman et c’est une toute autre chose de commencer à y travailler. Nous avons aussi Yamal, Avtovaz qui est pratiquement français, ce qui pose tout un ensemble de questions sociales, ainsi qu’une très belle banque, Rosbank, dont on ne sait plus si elle est russe ou française. Il y a aussi la station touristique du Caucase du Nord… Tout cela doit être développé, tout cela requiert de l’attention.

Nous craignions également que le nouveau pouvoir français ne vienne non pas à délaisser les projets signés par ses prédécesseurs, mais du moins à les traiter avec froideur. Il semblerait qu’aucun de ces projets, même le Mistral, n’ait été considéré comme un héritage incommode du Président Sarkozy. Ils restent tous prioritaires.

Il faut aussi souligner que la rencontre [des présidents russe et français] à Moscou est réellement une première. Tout ce qui a été dit lors de la réunion matinale avec les entrepreneurs français a été confirmé plus tard dans la journée au Kremlin. La Président de la CCFIR Emmanuel Quidet, présent à la réunion, a plaisanté en disant que les Français ont inventé la bureaucratie et que les Russes l’ont perfectionné. Vladimir Poutine a également ajouté que nos amis à Bruxelles ont atteint des sommets en la matière. Globalement, nous avons l’impression qu’après une courte période de stupeur politique, la situation a changé : le climat des affaires est à nouveau au beau fixe !

— Quelle est l’attitude des investisseurs français vis-à-vis de l’incident qui a eu lieu récemment avec Yves Rocher Vostok ? On dit que son directeur général, Bruno Leproux a été obligé de signer un acte déclenchant de nouvelles poursuites de la Commission d’enquête russe visant l’opposant russe Alexeï Navalny ainsi que son frère Oleg, dont la société avait été l’un des prestataires d’Yves Rocher Vostok. Les Français n’ont-ils pas peur d’être confrontés aux forces de l’ordre qui poursuivent leur propre intérêt ?

— J’irais même plus loin et dirais que les investisseurs français comprennent que les forces de l’ordre ne sont pas leur seul souci. Le tissu économique russe est bâti de telle manière qu’il n’existe pas un seul centre de prise de décisions, mais des intérêts très complexes et parfois abscons qui s’opposent. C’est la principale raison d’être de structures comme la nôtre. Nous ne sommes pas des intermédiaires ni des consultants, nous ne nous faisons pas rémunérer pour les contrats signés et ne créons pas de classements. Notre rôle est d’expliquer à l’entrepreneur souhaitant s’implanter sur le marché de la Volga ou de l’Oural ce qui relève de l’exécutif et ce qui relève de Rostekhnadzor. Et si Rostekhnadzor  est décideur sur un sujet, où la question est réglée- dans la capitale de l’Oural ou à Moscou. L’expérience que nous avons accumulée en 16 ans de travail nous permet non pas de dire aux sociétés comment faire (telle n’est pas notre prétention) mais au moins de les conseiller sur ce qu’il ne faut pas faire. Et c’est pour elles une grande économie de temps.

— Le directeur général d’Yves Rocher Vostok vous a consulté ?

— Bruno Leproux nous a immédiatement informés de la situation. Dans son cas, nous ne parlons pas d’un homme qui n’est en Russie que depuis un an ni même cinq. Il dispose de tous les leviers d’action dans une telle situation et, dans ce contexte en particulier, il a été capable d’agir tout seul. Il n’y a aucun commentaire à ajouter puisque la situation est toujours en cours de développement et que nous ne communiquons au nom de nos membres que des informations ne sortant pas du cadre de confidentialité implicite, c’est la base de leur confiance.

— Ainsi il ne vous a contacté que pour vous informer ou pour obtenir un conseil quant au comportement à adopter lorsqu’un enquêteur sur une affaire particulièrement importante vous rend visite?

— Dans ce cas, il s’agissait uniquement de nous informer. Toutes les décisions qu’il a prises ont été validées par le QG français. Par ailleurs, Bruno Leproux jouit d’une légitimité qui lui permet de convaincre sa direction que ses actions sont les bonnes. Car les situations comme celle-ci peuvent vraiment effrayer lorsqu’on y est confronté pour la première fois.

— C’est pourtant bien la première fois que cela arrive à une entreprise française en Russie, non?

— Nous avons en mémoire une histoire similaire avec L’Oréal, au début des années 1990.

— Donc, on peut dire que cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu d’histoires de ce type avec les Français.

— Je me souviens de la série d’articles par Bulat Stoliarov publiée dans Vedomosti qui expliquait que la Russie est inégale non seulement géographiquement mais aussi du point de vue temporel – ce pays abrite aussi bien des seigneurs féodaux, que des hipsters et de bons vieux stakhanovistes. Aussi, beaucoup de choses sont restées en l’état depuis les années 1990 et les personnes qui regardent la situation économique actuelle à travers le prisme de l’époque sont particulièrement précieuses. Notre président, M. Quidet, travaille chez Ernst & Young depuis 30 ans dont 18 en Russie. Il se souvient de toutes nos crises. L’expérience aide beaucoup : nous ne travaillons pas sous vide et les structures n’inventent pas une nouvelle formule ou un nouvel algorithme à chaque fois. Les structures comme la Commission d’enquête, le Bureau du procureur général, le fisc, sont des agences d’Etat et non pas des agences de création, ils suivent des scénarios précis. Le tout est de comprendre le niveau de soutien politique lorsqu’une telle situation se présente. Aussi, l’objectif des forces de l’ordre est important, trouver un compromis sur telle ou telle position, ou affaiblir une société au profit d’un concurrent ? Il y a toujours une raison.

— Est-ce, selon vous, une histoire typique pour la Russie ?

— Tout à fait atypique. C’est pourquoi elle suscite un intérêt évident et persistant de notre part comme de la vôtre. Si elle était typique, nous ne nous en souviendrions pas. Je crois qu’à l’heure actuelle il est encore trop tôt pour s’inquiéter vraiment. Pour le moment, M. Leproux est en Russie et poursuit son activité. L’économie russe a connu des situations bien plus compliquées. Et, contrairement aux observateurs étrangers, nous pouvons inscrire cette situation dans son contexte. Je répète que le problème principal n’est pas l’existence de structures de maintien de l’ordre, mais bien l’absence de coordination visible entre ses maillons. Je dis souvent que ce qui importe pour l’investisseur dans une région ne figure dans aucun classement : c’est le degré de coordination entre trois niveaux de pouvoir : fédéral, régional et municipal. C’est pourquoi quand un gouverneur signe une feuille A4 et dit qu’avec cette feuille vous pouvez aller n’importe où et faire ce que vous voulez, ce document n’est valable que dans le cadre de ses compétences. Et à chaque fois il faut comprendre où s’arrêtent ses compétences  et où commencent celles des autres.

— Donc même vous ne le comprenez pas ?!

— Dans chaque région les règles du jeu sont différentes. Il y a des régions où le pouvoir semble appartenir au gouverneur, mais en réalité le gouverneur précédent détient un certain pouvoir. Il y a des régions où, au contraire, le président précédent et le président actuel partagent un service de presse — habituellement, il est changé immédiatement au moment de la passation du pouvoir — et qui dessert aussi le chef du gouvernement. Chaque situation est atypique et la formation des relations entre le centre fédéral et le niveau local du pouvoir exécutif varient considérablement.

— Quelles sont les régions les plus faciles pour les Français et lesquelles sont les plus problématiques?

— L’Extrême-Orient a beau être très attractif, il est très loin. L’Oural forme une sorte de frontière psychologique et logistique. Les régions les plus attractives sont le Grand Moscou, Kalouga (à cause des qualités personnelles du chef de l’exécutif, bien entendu). Il y a des régions qui sont attractives par leur climat et la proximité des marchés de l’Europe centrale et orientale. A partir de Rostov-sur-le-Don et jusqu’au Caucase du Nord impliqué dans le grand projet de pôle touristique. Voronej, Krasnodar, Volgograd où un Auchan a ouvert ses portes il y a quelques semaines… Bref, la partie européenne de la Russie avec ses repères clairs pour les investisseurs français. Particulièrement pour les sociétés qui ont des représentations et des usines en Roumanie et en Bulgarie. Ensuite, on passe à l’Oural et à la région de la Volga — grâce à un capital industriel solide, une main-d’oeuvre qualifiée et une grande vigueur du pouvoir en place. Ekaterinbourg, Oufa, Kazan sont des régions qui investissent du temps et de l’argent non seulement à imprimer des prospectus et visiter les forums, mais à comprendre comment parler aux investisseurs. Ils ne se contentent pas de montrer un champ et dire que c’est une zone économique spéciale, mais ils attirent d’abord un investisseur pilote et ensuite en cherchent d’autres. Surtout que les entreprises françaises, contrairement aux Allemands ou aux Italiens, suivent précisément ce modèle : d’abord viennent les brise-glaces qui créent un périmètre autour d’eux, et ensuite s’y joignent les fournisseurs et les clients. Les PME viennent rarement en Russie toutes seules : le ticket d’entrée est très cher.

Aussi, je reviens au rôle de notre Chambre. Quelle est notre importance ? Les investisseurs français, lorsqu’ils s’attaquent au marché russe, ne vont pas à la Chambre de commerce et d’industrie de la Fédération de Russie, au Ministère du développement économique, à l’ASI ou autre — ils viennent voir les Français. Et ils demandent : Didier (ou Bruno), est-ce que tu travailles bien dans telle ou telle région? Et nous sommes ce centre qui réunit tout le monde et apporte une expérience, mais permet aussi d’expliquer aux autres Français comment travailler en Russie.

— Y a-t-il des régions que les Français déconseillent à leurs compatriotes ?

— Il y a des régions qui ne sont pas attractives pour des raisons différentes, par exemple, l’instabilité politique.

— Et quelles sont ces régions politiquement instables ?

— Regardez  la carte en dessous de Rostov-sur-le-Don. Bien que nous aimions le Caucase du Nord, certaines de ses régions ne sont pas très agréables.

— J’ai du mal à comprendre comment les Français ont pu se décider à construire des stations touristiques dans le Caucase du Nord. Le kidnapping, les explosions…Comment peut-on travailler dans ce genre d’ambiance ?

— Ce qui intéresse les Français avant tout est la diffusion de leur potentiel technique. Ils ne découvrent pas des villages et ne viennent pas s’y installer en famille. Ils expliquent comment construire une station de ski profitable et intéressante pour le public à partir de rien, de zéro — c’est comme ça que les Alpes ont vu le jour au début du XXe siècle. C’est pourquoi le risque est minime. Le risque financier a été couvert depuis le début par la Caisse des Dépôts et Consignations, ce projet ne touche pas tout le Caucase du Nord, mais des endroits spécifiques où le climat n’est plus aussi tendu. Le projet a déjà deux ans et demi, il se développe plutôt paisiblement. Si vous jugez ce qui a déjà été fait, c’est comparable aux Jeux de Sotchi. Avec tous les avantages et inconvénients qui cette comparaison peut induire.

Si nous parlons des régions qui n’attirent pas de manière évidente, ce sont sans doute les régions qui ne s’encombrent pas de ce genre de travail. C’est toujours une question de motivation : vous pouvez soit préparer un Power Point sur le traitement des déchets radioactifs, ou sinon inviter une délégation d’affaires ou organiser un forum, pour qu’on puisse tout voir et tout toucher. En règle générale, après un ou deux appels téléphoniques ou e-mails, nous savons que la région est prête.  

— Est-ce qu’il vous arrive de contacter des régions ?

— Oui, nous avons signé environ 30 accords et veillons à ce que cela ne se résume pas à de belles cérémonies, mais qu’ils comportent des obligations mutuelles. Un bon exemple est la présentation que nous avons récemment organisée pour la région de Lipetsk : le jour même les représentants de la région ont organisé une visite de Total dans leur zone économique spéciale. La même semaine les représentants de Total sont venus et ont pu voir les possibilités offertes par la région. Aussi, malgré la bureaucratie et les nombreux niveaux de pouvoir, tout est possible. Il est important de noter que les sociétés françaises qui n’ont jamais mis les pieds en Russie refusent obstinément de venir quand elles répondent à des sondages. Mais ceux qui y sont déjà ne cessent d’accroître leurs investissements (à l’exception de Carrefour et BNP Paribas, qui ont réduit leurs opérations en Russie au moment de la crise financière). Il n’est pas anodin que la France soit passée de la neuvième à la cinquième position des plus gros investisseurs étrangers en Russie entre 2009 et 2012.

— Quelles caractéristiques typiquement françaises les empêchent de travailler en Russie ? Qu’est ce qu’ils sont obligés de changer et transformer ?

— Les Français aimeraient se comporter comme les Américains ou comme les Allemands car ce sont deux schémas puissants qui ont fait leurs preuves. Mais les Français restent français. Et ici ils ne sont souvent pas prêts à perdre leur temps sur des allers-retours en avion, sur les procédures bureaucratiques. Ils voudraient régler leurs affaires par téléphone, en envoyant des fax ou des emails.

Tout le monde n’est pas prêt à perdre le temps qu’il faut pour trouver un interlocuteur qu’il faut et pour comprendre ce qu’il voulait dire.

La composante culturelle est très importante et aide à développer les affaires françaises en Russie. Les Français, à mon avis, ont l’un des coefficients de compatibilité les plus élevés avec les Russes, ne serait-ce que parce que la culture française fait partie de la base de la culture russe. Mais les Français ont beaucoup d’idées reçues sur les Russes. Et les Russes ne sont pas en reste avec leurs idées reçues sur les Français avec lesquelles ils aiment bien jouer. Bien que la France d’aujourd’hui soit très loin de Joe Dassin, Charles Aznavour, Dior, Chanel, Montmartre, etc, cette France est un jeu intéressant. Cela comporte ses risques, notamment [Gérard] Depardieu. Car si en Russie il est considéré comme l’incarnation de la France, pour les Français c’est un grand acteur qui, ces derniers temps, est associé uniquement aux déclarations bruyantes et aux adaptations de bandes dessinées.

Ce qui se passe en France actuellement dépend en grande partie de la figure du président et de la nouvelle génération d’hommes et femmes politiques — aujourd’hui principalement entre 35 et 50 ans, beaucoup plus jeunes que sous le Président Sarkozy. Cela non plus ne fait pas partie de l’image russe de la France.

La France est rarement perçue comme une terre d’investissement. Lors de la rencontre entre Hollande et Poutine, cela a été dit : quand dans les pays limitrophes de la France les Russes investissent des dizaines de milliards d’euros, la France attire au maximum un milliard (principalement grâce au rachat récent du prestataire logistique GEFCO par les Chemins de Fer russes). Ces schémas doivent être changés.

— Et comment y parvenir s’il existe des obstacles économiques tels que les impôts élevés et le coût de la main d’œuvre?

— En France la productivité est élevée. Ceux qui sont intéressés par le coût de la main d’œuvre peuvent aller en Chine. Mais n’oubliez pas : « Le Chinois a vendu son âme au diable, mais elle s’est vite cassée » (sourires). La France est le troisième pays après les Etats-Unis et le Royaume-Uni en termes d’investissements étrangers. Je ne pense pas que les investisseurs soient masochistes et n’investissent en France que parce qu’il y fait bon voyager sous prétexte de faire des affaires.

— Mais si pour les Français il est facile de savoir où investir en Russie, où les Russes doivent-ils investir en France ?

— Dans les technologies — ce qui nous est indispensable, aux Russes et aux Français, comme l’air que l’on respire. Dans certains domaines industriels, les inventions technologiques sont une compétence strictement française — je parle de l’industrie pharmaceutique, de l’optique militaire et civile. Nous voyons beaucoup de sociétés russes créer des joint ventures avec des sociétés françaises dans les domaines technologiques. Mistral en fait partie. Car la Russie a non seulement besoin d’un navire, mais Mistral est aussi pour elle un moyen de moderniser toute sa défense. Cela explique la durée des négociations sur le nombre de navires et le lieu de construction.

Je crois que le développement des investissements français en Russie est lié au futur de la Russie sur un plan très profond et pragmatique. Il s’agit du futur politique puisque l’essor de la classe moyenne conditionne l’essor des libertés publiques. La démocratie est créée par ceux qui ont quelque chose à perdre : si tous leurs espoirs sont placés dans le tsar, tout ira exactement comme ça a été le cas pendant ces quelques dernières centaines d’années. Il y aura des investissements dans les infrastructures- aujourd’hui les écarts de niveau de vie dans les régions sont énormes, parfois le transport des matières premières est problématique ! C’est bien de découvrir de nouveaux gisements, mais à quoi cela sert-il si l’on ne peut transporter le gaz jusqu’au consommateur ? C’est dans ces deux domaines- les besoins de la classe moyenne et le développement des infrastructures- que la France peut apporter sa contribution et le fait déjà assez activement. Les Français me demandent souvent : pourquoi les Allemands qui travaillent avec nous ici comme partenaires y arrivent et pas nous ? Probablement, parce que la France a commencé à investir en Russie après ses concurrents européens. Mais elle a décidé de se lancer et les vecteurs de développement choisis que nous suivons depuis 5-6 ans offrent des prévisions très positives. C’est intéressant que le nouveau format de la diplomatie française— la diplomatie économique— ait été inventé par un président socialiste : lors de la réunion annuelle avec les ambassadeurs, Hollande a déclaré que la dimension analytique de la diplomatie visant à développer les technologies de l’information passerait au deuxième plan au profit de l’économie.

— L’entrée de la Russie dans l’OMC influence-t-elle les relations économiques franco-russes ou nous n’y sommes pas encore ?

— Les cercles bien informés ont bien accueilli ce pas politique en direction des partenaires étrangers. C’est une démonstration de bonne volonté visant à normaliser les structures économiques russes. Mais la fragilité des villes mono-industrielles risque d’empêcher la suppression de tous les mécanismes de protection qui existent aujourd’hui. D’autre part, quand on voit comment la Chine est entrée dans l’OMC…

Il existe toujours une dose d’incertitude vis-à-vis de la Russie : de qui est-elle la plus proche- la Chine ou l’Europe. Bien sûr, avec la grave crise que traverse l’Union européenne, il y a une inquiétude sur les choix géopolitiques de l’administration russe. Nous avons récemment reçu deux anciens Premiers Ministres français – Dominique de Villepin et François Fillon. Les deux, comme le Président Hollande, sont persuadés que la Russie n’a pas de partenaire plus prioritaire que l’Europe. Cependant, ils comprennent à quel point l’Europe est devenue une configuration complexe, à quel point la Russie préfère les relations « un à un » et à quel point la France a besoin d’un talent spécial pour consolider ses relations avec la Russie. Aucun homme politique français ne pense qu’il est judicieux pour la Russie de jouer la carte américaine ou chinoise.

Et même si l’intégration politique est compliquée – la suppression des visas Schengen pour les russes est la question la plus actuelle- l’intégration économique continue. Et bien que cela puisse paraître étrange, je crois que dans cette situation l’intégration politique peut passer par l’intégration économique et non l’inverse.

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