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Discours direct – Entretien avec le propriétaire de N-Trans, Andrei Filatov

Moscou, 26 septembre (Reuters)

– La Russie devra très bientôt accepter les capitaux privés et étrangers pour construire des lignes de chemin de fer et développer l’infrastructure des transports, dont le retard gêne aujourd’hui l’exportation de ressources naturelles. Or c’est l’avantage principal du pays dans l’économie mondiale. C’est ce qu’affirme le copropriétaire de Globaltrans, Global Ports et Mostotrust, Andreï Filatov.

Afin de régler le problème d’insuffisance de locomotives, la Fédération de Russie libéralisera d’abord ce secteur. Puis elle mettra en place des concessions pour construire des lignes de chemin de fer, a déclaré Andreï Filatov au cours du Sommet Reuters.

"La Russie est un écrin de ressources naturelles, dit l’homme d’affaires investissant dans des projets d’infrastructures et de transport en Russie. Le nombre d’habitants sur la planète augmente, et le monde aura besoin de matières premières".

Andreï Filatov est l’un des trois propriétaires du holding d’investissements N-Trans. Les autres propriétaires, à parts égales, sont Konstantin Nikolaev et Nikita Michine. N-Trans possède 37,5% de l’opérateur portuaire Global Ports.

De même, les trois partenaires possèdent en tout 34,5% de l’opérateur de chemin de fer Globaltrans et environ 12,2% du holding de construction Mostotrust. Andreï Filatov est aussi propriétaire de 7% du plus grand transporteur de pétrole et de produits pétroliers par voie ferroviaire, Transoil.

Forbes estime la fortune d’Andreï Filatov à 1,35 milliards de dollars, et il occupe la 80ème position sur la liste des hommes d’affaires les plus fortunés de Russie.

"Il n’y a pas de baisse de la demande en ressources naturelles dans le monde, déclare-t-il. C’est moins clair en termes de valeur, mais physiquement, en tonnes, la demande augmente. Mais elles ne peuvent pas être exportées ! Pourquoi ? Parce que les ports sont fermés, que les gares de triage ne sont pas prêtes".

La direction du monopole ferroviaire d’Etat RZhD, qui gère quelque 85 000 km de voies de chemin de fer, se plaint depuis de nombreuses années déjà du manque de financements pour élargir son réseau. La situation est particulièrement problématique à l’abord des ports d’Extrême-Orient, d’où partent les exports vers les pays en croissance de la région d’Asie-Pacifique.

"La société des chemins de fer n’a pas suffisamment de moyens. Or en tant qu’investisseur, je suis ici d’accord avec Vladimir Ivanovitch Yakounine (directeur de RZhD) et avec RZhD : il leur faut plus d’argent pour développer leurs infrastructures, explique Andreï Filatov. C’est un frein structurel au futur développement de l’économie russe".

"J’ai entendu des représentants du gouvernements parler du développement de l’industrie charbonnière il y a environ six mois. Pour les années qui viennent, il est prévu d’augmenter la production de charbon de 100 millions de tonnes par an. Je ne suis pas du secteur, je ne sais pas si la demande pour un tel volume existe. Mais si elle existe, alors qui va tout transporter ?"

ERREUR FONDAMENTALE

Le gouvernement russe a décidé au milieu du mois de septembre de geler les tarifs des monopoles naturels pour l’année 2014. Ces tarifs étaient pendant les années passées indexés annuellement sur l’inflation, ce qui provoquait des protestations des dirigeants de RZhD.

"J’estime qu’il ne faut pas limiter la croissances des tarifs sur les infrastructures. C’est une erreur fondamentale", estime le copropriétaire de l’opérateur ferroviaire privé Globaltrans.

"Il est évident que la demande en gaz de l’Europe baissera. Le secteur métallurgique est menacé de fermeture. Par conséquent, la demande européenne d’électricité va décroître, et la demande en gaz va diminuer. A qui la Russie va-t-elle vendre ce gaz ? Il faut construire des infrastructures. Construire des ports où le gaz sera liquéfié, afin de l’exporter sur les marchés du Japon, de la Chine, de l’Inde. Et il faut investir pour construire ces infrastructures".

"Le Japon sera un gros consommateur de gaz et de charbon, puisque le développement de l’énergie nucléaire est dangereux dans une zone sismique. La demande sera grande, et ce sera une demande stable et de long terme. Bien sûr, dans l’Extrême-Orient il faut mettre fin aux goulots d’étranglement. Des équipements portuaires et ferroviaires y sont nécessaires. A l’heure d’aujourd’hui, il n’est en effet pas possible de s’y déplacer".

Les financements gouvernementaux sont quasiment la seule source de financement des projets d’infrastructure d’envergure, estime Andreï Filatov.

"Mettre les monopoles des infrastructures dans une situation de débiteurs ? De tels projets ont un retour sur investissement rapide. C’est pourquoi geler les tarifs à cause de l’inflation n’est pas une bonne décision, j’y suis catégoriquement opposé".

L’ARGENT DU TRANSPORT EN ECHANGE DE MATIERES PREMIERES

Pour régler le problème du manque de financement de ces projets, alors que le gouvernement n’a pas les ressources suffisantes pour tout financer seul, Andreï Filatov propose de faire appel au capital étranger et aux investisseurs privés, qui doivent être attirés par le gouvernement.

"Beaucoup de pays ont des capitaux, et ils sont prêts à les investir dans les économies qui en manquent, explique-t-il. Le monde a besoin de matières premières. Et la Russie en possède beaucoup, nous sommes prêts à aider le monde".

"Je chercherais avant tout à attirer les capitaux des fonds souverains des autres gouvernements, déclare-t-il. Le gouvernement doit prévoir des projets d’investissement massifs et proposer aux investisseurs du Qatar, de Singapour et d’ailleurs de participer".

D’après Andreï Filatov, il n’y a pas lieu de privatiser les entreprises gouvernementales : les investisseurs doivent être invités sur des projets bien précis.

"Je ne suis pas en faveur de la privatisation. Pourquoi privatiser des entreprises qui apportent du revenu ? Pourquoi se priver des futurs dividendes versés au budget ?"

Le gouvernement n’est par définition pas un propriétaire inefficace, puisque l’efficacité dépend du professionnalisme de la direction, estime l’homme d’affaires.

"Quel est notre but ? Si je vends quelque chose, j’obtiens du capital que je peux investir dans une autre activité, là où je vois le plus d’efficacité. Je pense que c’est l’approche à adopter en ce qui concerne la privatisation et le gouvernement".

Andreï Filatov et ses partenaires ont réalisé plusieurs appels à l’épargne publique pour les entreprises Gobaltrans et Global Ports, et ont vendu une partie des actions de Global Ports à l’opérateur international de containers APM Terminals B.V. (qui appartient au holding A.P. Moller-Maersk).

"Quand un fond souverain est-il confiant ? Lorsqu’un investisseur se trouve à tes côtés. Pourquoi nous font-ils confiance ? Parce que lorsque nous sommes en leur compagnie, nous sommes des partenaires mineurs, nous investissons ensemble et prenons des décisions. Nous avons une direction d’entreprise claire et logique".

"Le premier investisseur à sortir sur le marché des capitaux doit être le gouvernement, estime-t-il. Or aujourd’hui le gouvernement montre qu’il n’est pas un investisseur en limitant la hausse des tarifs".

APPEL AU PRIVE POUR DES LOCOMOTIVES

Globaltrans, l’un des plus importants opérateurs ferroviaires privés, annonce dans presque chacune de ses déclarations publiques son désir d’acheter des locomotives. Toutefois, la Russie n’est pas pressée de céder à des acteurs privés une part des revenus ferroviaires entraînés par la gestion des locomotives par RZhD.

"Si j’étais un fonctionnaire russe des chemins de fer, je dirais : quelle libéralisation ? C’est mon revenu !" : c’est ainsi qu’Andreï Filatov comprend la réticence de RZhD de voir les locomotives passer dans les mains du privé.

Mais Andreï Filatov reste convaincu du fait que le gouvernement va devoir libéraliser ce marché à très court terme, surtout si RZhD ne reçoit pas de compensation pour le gel des tarifs.

"11 000 locomotives sont aujourd’hui mises au service de l’économie russe. Une locomotive coûte 5 millions de dollars en moyenne. Si l’on achète une petite société de 400 locomotives, cela revient déjà à 2 milliards de dollars. Ce sont des sommes importantes. Où peut-on les trouver ? Il faut aller sur le marché des capitaux, faire appel aux investisseurs".

Par le passé, RZhD a annoncé que son parc de locomotives était usé à 75%.

"Je me souviens de la manière dont les dirigeants des chemins de fer disaient : des wagons privés ? Jamais de la vie ! Jamais ! Mais il n’y avait pas d’argent, et il fallait bien transporter les marchandises. Des dysfonctionnements ont commencé. Quand les ressources manquent, une libéralisation est engagée".

APPEL AU PRIVE POUR LES ROUTES

Le secteur de la construction de lignes de chemin de fer suivra la même logique, à en croire Andreï Filatov.

"De même que l’on observe aujourd’hui des projets de concessions pour les routes automobiles, il y aura des concessions pour les chemins de fer. Je n’en doute pas. Le déficit en capital est tellement important que ce secteur aussi sera ouvert. Au début ce seront les locomotives, après les concessions pour les lignes. Il n’y a pas d’alternative".

Andreï Filatov, qui a gagné avec ses partenaires près d’un milliard de dollars en faisant appel au capital privé pour Global Ports et Globaltrans et en vendant une partie de Global Ports à un investisseur étranger, ne déclare pas quels fonds il possède aujourd’hui. Mais il affirme qu’il est prêt à investir dans les locomotives et dans les concessions de chemin de fer.

"Je peux rêver ? Je possèderais avec plaisir une concession de chemins de fer à Oust-Louga. La base de fret est stable, c’est pratique, il est possible de faire ses calculs à l’avance".

"In fine, tout sera fait par des concessions. A l’origine de la construction des lignes de chemin de fer russes, la moitié de ce secteur a été réalisée sous la forme de concessions. Sans concessions de chemin de fer, le pays ne se serait pas développé".

LES "GRANDES CONSTRUCTIONS" ET LE BATIMENT

Tout en défendant le droit de la Russie à une économie orientée sur l’export des ressources naturelles, Andreï Filatov estime que dans les dix ans qui viennent le pays connaîtra un boom dans la construction. Il sera boosté par les grands projets, comme le périphérique Central dans la région de Moscou, la route à grande vitesse Moscou-Kazan, la préparation du Championnat du monde de football de 2018.

En outre, suite à la crise de 2008-2009 qui a entraîné un report de consommation de la population, une croissance active de la construction d’habitations va suivre.

"Il est évident que la tendance est à la croissance, et ce pour les prochaines décennies", affirme-t-il.

"Regardez comme les prix du pétrole et du gaz sont élevés. Le budget est positif, à l’inverse de ce que l’on observe dans de nombreux pays, et les revenus de la population augmentent. Ce sont les statistiques qui le disent. Et regardez l’augmentation de l’hypothèque et des dépôts dans les banques".

Le retour de la demande différée va bientôt se faire sentir : "Si l’on regarde les statistiques de notre fond de logement et les statistiques de l’Europe de l’Est, nous avons 2,5 fois moins de mètres carrés par personne".

"La population oublie sa crainte de la crise, une demande naturelle va apparaître : il faut bien vivre quelque part. Et les banques vont leur proposer des crédits avec plaisir".

Andreï Filatov a déclaré posséder des parts dans une entreprise construisant des habitations peu chères. Il n’a pas dévoilé les détails du projet, promettant de les révéler plus tard.

Le boom de la construction entraînera derrière lui l’industrie cimentière, et suite à la construction d’habitation viendra la croissance du marché des containers : "l’homme achète d’abord sa maison, ensuite son réfrigérateur, son aspirateur, sa machine à café, son fer à repasser. Tout cela lui sera apporté dans des containers".

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